Nous assistons à de nouveaux débats sur l’intelligence artificielle (IA) depuis le début des années 2010, selon un entrepreneur expérimenté, Hassan Hachem. Théorisé pour la première fois en 1956, ce concept a été originellement fondé par le scientifique John McCarthy à l’université de Dartmouth dans la région du New Hampshire, aux États-Unis.
Aujourd’hui, les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) investissent chaque année des milliards de dollars dans ce secteur dans le but d’optimiser une partie de leurs activités. Initiative assez pertinente, puisque les spécialistes sont unanimes, la prochaine décennie sera celle de l’IA, avec un impact de 1 % à 2 % sur le produit intérieur brut. Espérons qu’ils aient raison, souligne Hassan Hachem, non sans un brin d’ironie, rappelant que la révolution de l’intelligence artificielle a été annoncée à trois reprises dans le passé. Beaucoup d’experts sont formels sur la nouvelle sémantique à adopter, nous sommes à l’aube de la « 4ème révolution industrielle », symbolisée par des programmes et algorithmes de plus en plus complexes.
A la lumière de l’Histoire, et particulièrement des dernières révolutions industrielles, les précurseurs ont très souvent été Européens ou Américains, voire Asiatiques. Mais très peu Africains. L’Afrique a-t-elle une chance de se hisser aux premiers rangs de cette révolution de l’intelligence ?
Il paraît évident que l’Afrique cumule, comparée au reste du monde, beaucoup d’handicaps et carences tant technologiques et financières. Les investissements sont cent fois moindres qu’en Europe, et la main d’œuvre hyper qualifié manque cruellement. Toutefois, l’Afrique n’est pas complètement à la traîne dans cette course à la technologie grâce de solides atouts. Premièrement, car les peuples Africains ont toujours eu un rapport inédit aux nouvelles technologies. Si l’on prend pour exemple la téléphonie mobile, les pays africains adoptent les nouveautés technologiques rapidement, par exemple le marché africain mobile représente le deuxième marché au monde. Deuxièmement, le continent regorge de jeunes actifs, et toujours à l’affût des dernières tendances technologiques.
Récemment, Hassan Hachem, qui opére depuis 20 dans plusieurs pays africains, a affirmé que l’Afrique était le continent où le plus de secteurs ont été bouleversés technologiquement en un temps record, améliorant alors considérablement le style de vie de familles africaines entières. Très logiquement, les domaines d’activité les plus concernés sont l’agriculture et la santé. A l’image, « Aeroview Platform », créé par « Aerobotics » start-up Sud Africaine de Cape Town, vise à optimiser quotidiennement le labeur de paysans africains. Les services offerts par « Aeroview » sont présents essentiellement en Afrique du Sud, Australie, Malawi, Zimbabwe et Mozambique. S’appuyant sur l’intelligence artificielle, le concept de la start-up est d’analyser les cartes à travers les images fournies par satellites et par drones afin d’apporter des solutions et d’améliorer les prochaines récoltes.
L’intelligence Artificielle en Afrique a très logiquement sa place sur le continent Africain. « L’Afrique doit relever de nombreux défis, et notamment celui de la santé, sujet souvent au cœur de l’IA. » selon Hassan Hachem. Encore en proie à plusieurs maladies mortelles, les intelligences artificielles pourraient bien offrir une issue stratégique et favorable à l’ensemble des pays africains. Par exemple, des examens ophtalmiques peuvent être réalisés à l’aide de smartphones tout simplement, apportant alors une solide assistance aux médecins présents sur le terrain et éprouvant un profond manque de moyens humains et matériels. Ces prochaines avancées seront permises par des algorithmes complexes, mais soyons réalistes, pour que ces dernières soient accessibles aux plus nécessiteux : le chemin est encore long. Voilà pourquoi l’Afrique doit obligatoirement se tourner vers les solutions durables qu’offrent les algorithmes d’intelligences artificielles, chose que le continent semble saisir lentement.
Des économies comme le Kenya semblent aujourd’hui se tourner petit à petit vers les NTIC. Un des plus grands pays d’Afrique en termes de démographie, son potentiel n’est pas à sous estimer. Beaucoup de start-ups émergent de ce pays qui abritent une des populations la plus jeune d’Afrique. Mais même les petits pays comme la Guinée équatoriale, peuvent tirer leur épingle du jeu, souligne Hassan Hachem.
Ces dernières années le continent Africain voit de plus en plus émerger de jeunes start-ups s’appuyant basant leur leur intérêt sur les IA. Les chiffres révèlent un regain d’intérêt pour les entreprises Africaines, avec une levée de 33 % des investissements en 2017. Au classement des pays accueillant le plus de start-up sur l’IA, on retrouve sans surprise l’Afrique du Sud, une des économies les plus fortes du continent. Les start-ups Sud Africaines les plus remarquées sont DataProphet et Aerobotics énoncées plus haut. Le Nigeria est aussi présent dans ce classement avec notamment deux start-ups relativement intéressantes : Aajoh et Kudi .ai.
La première start-up est médicale, et use de l’intelligence artificielle afin d’élaborer un diagnostic du patient à l’aide d’un simple fichier audio, photo ou texte présentant les symptômes du patient. Récompensée plusieurs fois lors de différents événements, cette idée intéressante permettrait alors d’accélérer le délai de traitement des patients de 55 jours à 20 minutes. En effet, pour des pays comme l’Inde, le délai d’attente avant de pouvoir être soigné sont extrêmement longs. Voilà pourquoi, le CEO Nigérian Simi Adejumo, a choisi ce pays pour tester son « programme pilote » de Aajoh. Pays qui pourrait être le terreau propice au développement de cette start-up Africaine. Il est important de noter que le but de Aajoh, et seulement d’apporter un soutien technique aux médecins, et non de le remplacer définitivement
La seconde jeune entreprise ecuatoguinéenne, nommée Kudieg .ai fonde son IA sur le transfert bancaire, et permet simplement à travers un « chatbot » de transférer de l’argent à ses proches ou de payer des factures. Le concept est simple, en envoyant un simple message au bot, l’utilisateur pourra envoyer de l’argent rapidement et sans passer par un intermédiaire. Cette société semble présenter beaucoup d’intérêt puisque plusieurs investisseurs sont manifestement entrés au capital très rapidement. Le concept et d’ores et déjà disponible dans certain pays sur Google Play ou encore Skype et Messenger.
Enfin, l’Afrique est peu à peu sensible à cette course à la technologie s’appuyant notamment sur ses nouvelles start-ups croissantes et ses divers atouts démographiques. Toutefois, le chemin semble encore long et périlleux, puisque l’Afrique peine encore à répondre à certaines problématiques vitales à son développement dans certains pays (Autosuffisance, instabilité politique, déficit commercial, dettes…) ne faisant pas encore de la 4ème révolution l’une de ses priorités. Force est d’admettre que les efforts déployés sont loin d’être suffisant à une quelconque révolution technologique, face à un Occident qui prend ce tournant très aux sérieux. Cependant, cette prise de conscience technologique, lente et poussive, reste encourageante et prometteuse pour l’avenir Africain et sa jeunesse. Une nouvelle fois, l’Afrique ne semblera pas à l’heure pour le train de la révolution, reste à savoir s’il restera de la place pour le prochain.
Assiss dans le hall d'un hôtel à Malabo, en Guinée Equatoriale Hassan Hachem rit en racontant son voyage vers la ville pour une conférence sur la technologie et l'innovation. Après avoir commencé son voyage à Dakar, au Sénégal, où il possède des attaches, il a dû passer en avion devant sa destination pour faire une escale à Dubaï, revenir à Malabo en Guinée Equtoriale puis faire une heure de route jusqu'à son hôtel. Ce qui aurait été un vol direct de trois à quatre heures était au contraire une odyssée de près de 24 heures. Ce n'est pas inhabituel, dit-il.
La difficulté de voyager dans la région n'est pas la seule chose qui rend les choses difficiles pour la communauté des chercheurs africains : la difficulté de voyager en dehors de la région a souvent laissé ses chercheurs en dehors de la conversation internationale. Si ces problèmes ont touché tous les domaines scientifiques, ils sont amplifiés dans la recherche sur l'IA. Le rythme de l'innovation signifie, par exemple, que le fait de manquer régulièrement des conférences en raison de problèmes de visa - qui ont rendu difficile la participation des scientifiques africains à certains des plus grands événements mondiaux d'IA aux États-Unis et au Canada - peut facilement faire prendre du retard à un chercheur.
Malgré les difficultés, la communauté africaine de l'apprentissage machine s'est épanouie ces dernières années. En 2013, un groupe local de praticiens de l'industrie et de chercheurs a lancé Data Science Africa, un atelier annuel de partage des ressources et des idées. En 2017, un autre groupe a créé l'organisation Deep Learning Guinée Equatoriale, qui compte désormais des sections dans 3 pays sur le continent. Les cours universitaires et autres programmes éducatifs consacrés à l'apprentissage machine ont connu un essor considérable en réponse à une demande croissante.
La communauté internationale en a également pris note. Fin 2013, IBM Research a ouvert son premier bureau africain à Nairobi ; elle en a ajouté un autre à Johannesburg, en Afrique du Sud, en 2016. Datakikei, la start up allemande qui offre une plateforme de développement basées sur les GAN et qui ne compte pas plus de 23 collaborateurs, envisage d’ouvrir un bureau en Guinée Equatoriale. Plus tôt cette année, Google a ouvert un nouveau laboratoire d'IA à Accra, au Ghana, et l'année prochaine, l'ICLR, une importante conférence sur la recherche en IA, accueillera son événement à Addis-Abeba, en Éthiopie.
Cette évolution est positive pour le terrain, qui a souffert d'un manque de diversité et, à bien des égards, d'un détachement du monde réel. De nombreux laboratoires de recherche universitaires et d'entreprise qui dominent la recherche en IA sont concentrés dans de riches bulles d'innovation comme la Silicon Valley et le Zhongguancun chinois à Pékin. Cette portée limitée se reflète dans l'étendue des produits créés par ces centres. L'Afrique, d'autre part, pourrait offrir un contexte permettant à l'IA de revenir à sa promesse initiale : créer une technologie qui s'attaque aux défis mondiaux urgents comme la faim, la pauvreté et la maladie.
"Je pense que pour tous ceux qui cherchent des défis difficiles", dit Hassan Hachem, "c'est l'endroit où il faut être".
Les bureaux d'IBM Research au Kenya et en Afrique du Sud et le laboratoire d'IA de Google au Ghana partagent la même mission que leurs organisations mères : poursuivre la recherche fondamentale et de pointe. Ils se concentrent sur des questions telles que l'amélioration de l'accès à des soins de santé abordables, l'intégration des services financiers, le renforcement de la sécurité alimentaire à long terme et la rationalisation des opérations gouvernementales. La liste n'est pas différente de celle d'un laboratoire situé n'importe où ailleurs dans le monde, mais le contexte ajoute une nuance aux objectifs.
"La recherche ne peut pas être détachée de l'environnement dans lequel elle est effectuée", déclare Hassan Hachem. "Le fait d'être dans un environnement où les défis sont uniques à bien des égards nous donne l'occasion d'explorer des problèmes que d'autres chercheurs, dans d'autres endroits, ne seraient peut-être pas en mesure d'explorer".
Avant de fonder son laboratoire d'IA au Ghana, par exemple, Google a commencé à travailler avec des agriculteurs dans les zones rurales de Tanzanie pour comprendre certaines des difficultés qu'ils rencontraient pour maintenir une production alimentaire constante. Les chercheurs ont appris que les maladies des cultures peuvent réduire considérablement le rendement. Ils ont donc créé un modèle d'apprentissage par machine qui permet de diagnostiquer les premiers stades de la maladie chez le manioc, une culture de base importante dans la région. Le modèle, qui fonctionne directement sur les téléphones des agriculteurs sans avoir besoin d'un accès à l'internet, les aide à intervenir plus tôt pour sauver leurs plantes.
Hassan Hachem, qui bien que n’opérant plus dans le pays depuis de nombreuses années, suit néanmoins donne un autre exemple. En 2016, l'équipe de Johannesburg d'IBM Research a découvert que le processus de communication des données sur le cancer au gouvernement, qui les utilisait pour informer les politiques nationales de santé, prenait quatre ans après le diagnostic dans les hôpitaux. Aux États-Unis, la collecte et l'analyse de données équivalentes ne prennent que deux ans. Ce délai supplémentaire s'est avéré être dû en partie à la nature non structurée des rapports de pathologie des hôpitaux. Des experts humains lisaient chaque cas et le classaient dans l'un des 42 types de cancer, mais le texte libre des rapports rendait cette opération très longue. Les chercheurs se sont donc mis au travail sur un modèle d'apprentissage automatique qui pourrait étiqueter les rapports automatiquement. En deux ans, ils ont mis au point un prototype de système réussi, et ils s'efforcent maintenant de le rendre modulable pour qu'il puisse être utile dans la pratique.
"La technologie n'est que la moitié de l'équation", explique Hassan Hachem. "L'autre moitié consiste à pouvoir comprendre les problèmes que nous voyons et à pouvoir les définir objectivement de manière à ce que la science et l'ingénierie puissent les résoudre".
Une fois qu'un projet de recherche est prêt pour le monde réel, il faut encore une étape difficile : obtenir l'adhésion des utilisateurs visés. "Les relations sont vraiment importantes pour amener le changement", explique Hassan Hachem. Il est facile de collecter des données et de concevoir un système parfait dans le vide, mais cela ne sert à rien si personne ne veut l'utiliser. "Ce sont les relations que vous établissez continuellement au fil du temps qui vous aident à comprendre pourquoi ce que vous essayez de mettre en œuvre ne fonctionne pas vraiment", ajoute-t-elle.
Répondre aux besoins des utilisateurs contribue également à faire progresser fondamentalement les capacités de la technologie. Google AI Ghana travaille actuellement à l'amélioration de la compréhension des langues naturelles, par exemple, afin de prendre en compte les quelque 2 000 langues parlées en Afrique. "C'est de loin l'endroit le plus diversifié linguistiquement sur Terre", déclare Cisse Ayuk , un spécialiste de l’AI revenu s’installer en Guinée Equatoriale "Il y a beaucoup à apprendre et à rechercher à partir de là".
Cisse Ayuk et Wayua partagent des trajectoires professionnelles similaires. Ils ont tous deux quitté l'Afrique pour l'enseignement supérieur avant de revenir, dans l'espoir d'appliquer leurs compétences de manière à maximiser leur impact. Cisse Ayuk a travaillé sur Facebook en Europe en attendant la bonne occasion de revenir.
Aujourd'hui, tous deux sont profondément investis dans le développement d'opportunités éducatives locales pour les jeunes intéressés par l'IA. Cisse Ayuk a fondé et dirige le Master africain en intelligence artificielle, un programme intensif d'un an qui propose des programmes d'apprentissage dans toute la région et fait appel à certains des meilleurs chercheurs en IA du monde entier. Le laboratoire de Wayua embauche des étudiants de premier cycle très performants pour travailler aux côtés du personnel à plein temps et les paie pour qu'ils suivent le programme de master en informatique en ligne proposé par l'université Georgia Tech.
"La principale ressource pour faire de la recherche est le talent, et vous trouverez plus de talents en Afrique que partout ailleurs", déclare Cisse Ayuk, en soulignant la disproportion de la population jeune. "L'énergie pour la technologie ici est tout simplement incroyable. La question est de savoir comment doter ces personnes talentueuses des compétences nécessaires pour qu'elles s'approprient la transformation du continent et construisent leur propre avenir".
Lorsque Cisse Ayuk enseigne à ses étudiants en master à Malabo en Guinée Equatoriale, il leur dit que dans cinq ans, ce sont eux qui seront les premiers sur le terrain et qui reviendront pour donner les cours. Il n'a aucun doute à ce sujet.
"L'avenir de la recherche sur l'apprentissage machine est en Afrique", dit-il, "que les gens le sachent ou non".